mardi 22 juillet 2014

10 petites histoires extraordinaires chez nos amies les fourmis

Incroyable ! Je n'ai quasiment jamais parlé de fourmis sur ce blog ! Réparons cette atroce injustice sur le champ. Dans ce billet, je vous propose de découvrir dix petites histoires incroyables au sujet de ces fascinants insectes. Je vous épargne les classiques "une fourmi peut porter 50 fois son poids" et "la masse de fourmis sur Terre équivaut à celle des humains" :) A la place, et entre autres histoires insolites : symbiose, esclavage, philosophie, et vampirisme ! Bonne lecture :)

1 - Les fourmis électroniques


En 2008, la NASA a traité ses installations pour se débarrasser de minuscules fourmis rouges, Nylanderia fulva. Celles-ci ont la fâcheuse tendance à s'introduire dans les circuits électroniques des machines et des ordinateurs. En mourant grillées, elles émettent des phéromones d'alerte et leurs comparses débarquent pour leur porter secours. Las, elles succombent aussi, et s'entassent au point de créer de graves courts-circuits ! Elles sévissent dans quelques contés du Texas, où elles ont déjà endommagé des véhicules, des téléviseurs et les ordinateurs de contrôle d'une usine chimique. Marrant quand on sait que le terme bug viendrait d'un incident similaire causé par un insecte à la fin de la deuxième guerre mondiale.

2 - La mégapole des fourmis


En 2012, une équipe de scientifiques menée par Luis Forgi a mis au jour une cité géante de fourmis coupe-feuille, malheureusement abandonnée. Pour évaluer la taille de la structure, les chercheurs ont déversé du béton à l'entrée principale de la galerie. Il leur a fallu une dizaine de jours et 10 tonnes de béton pour remplir le réseau de galeries. Un mois plus tard, les scientifiques se sont mis à l'ouvrage et ont dégagé un dédale de routes, de chambres de stockage et de salles de culture. Les fourmis coupe-feuilles cultivent en effet des champignons, qui poussent sur un substrat de feuilles découpées. La structure comportait également des puits de ventilation, des dépôts d'ordure ainsi que des routes de substitution. L’impressionnante mégapole s'étendait sur plus de 46 m² ! Sa construction aurait nécessité le déplacement d'environ 40 tonnes de terre et la cité a abrité, à son apogée, plusieurs millions de fourmis.


Dans le même genre, vous pouvez créer une sculpture originale en versant de l'aluminium fondu dans un réseau de galeries (abandonné, vous n'êtes pas des monstres) :

3 - Les fourmis qui ont une porte à la place de la tête

Les fourmis soldats du genre Cephalotes sont des squatteuses qui ne se tuent pas à la tâche : elles colonisent les galeries d'autres insectes, comme celles des scarabées de bois. Elles se servent alors de leurs têtes pour en bloquer les issues. Elles prennent leur tour de garde et s'installent inconfortablement, leur tête bouchant les orifices des tunnels. Les visiteurs indésirables passent leur chemin, alors que les membres de la colonie n'ont qu'à tapoter amicalement le casque de la fourmi pour pouvoir entrer. Il existe plusieurs espèces de fourmis à casques, chacune étant adaptée à des tailles de galerie différente. Certaines espèces, comme Cephalotes varians, sont également connues pour leur habilité à planer et à se diriger en cas de chute.
Une "soldate" Cephalotes varians. Crédits : Alex Wild/alexanderwild.com

4 - Les fourmis-bouledogue et Schopenhauer

Les fourmis du genre Myrmecia sont des teignes hargneuses et agressives, ça se voit rien qu'à leur trogne. Non seulement elles sont énormes, mais elles possèdent des mandibules puissantes et sécrètent un puissant venin, bien plus méchant que celui d'un frelon. Arthur Schopenhauer y fit référence dans Le monde comme volonté et comme représentation :

 « Dans ce genre, la fourmi bouledogue d'Australie présente un exemple frappant : Lorsqu'on la coupe en deux, une lutte s'engage entre la tête et la queue : celle-là commence à mordre celle-ci, qui se défend bravement avec l'aiguillon contre les morsures de l'autre; le combat peut durer une demi-heure, jusqu'à la mort complète, à moins que d'autres fourmis n'entraînent les deux tronçons. Le fait se renouvelle chaque fois. »

Cette vidéo mentionne cette anecdote piquante. Si jamais j'ai des lecteurs australiens, ils pourront confirmer -ou non- les dires du philosophe allemand !

5 - Les fourmis bergères

Des fourmis à l'abdomen translucide festoient sur des liquides colorés. Crédits : Mohamed Babu.
Si les fourmis coupe-feuilles cultivent des champis, allant jusqu'à partager leurs jardins avec d'autres espèces, d'autres fourmis élèvent des pucerons pour se nourrir de leur miellat sucré. Elles les trimbalent carrément de plante en plante, comme de bonnes bergères, les défendant contre d'éventuels prédateurs. Des pucerons bien nourris et en bonne santé fournissent un meilleur miellat, toute fourmi bien éduquée sait cela. Parfois, d'autres insectes profitent de cette nourricière sucrée : elles déposent leurs rejetons qui seront nourris et protégés par les fourmis.  

6 - Les fourmis tisserandes et les larves tubes-de-colle

Les fourmis du genre Oecophylla tissent leurs nids à partir de feuilles qu'elles collent les unes aux autres. Pour cela, elles s'agrippent aux feuilles avec leurs mandibules et tirent de toute leur force. Une fois que les feuilles sont suffisamment proches les unes des autres, elles se servent de leurs propres larves pour souder l'ensemble. Ces dernières sécrètent en effet des fils de soie collants extrêmement résistants. On peut admirer les fourmis tisserandes manipuler leurs larves dans la vidéo ci-dessous :

Ci-contre : une fourmi tisserande et son tube de colle. Crédits : Mark W. Moffett pour National Geographic.

7 - Les fourmis qui vivaient dans une plante carnivore

Certaines espèces de fourmis vivent en symbiose avec des plantes dites myrmécotrophiques, myrmêx signifiant fourmi en ancien grec. Comme toute symbiose, c'est un échange gagnant-gagnant : les fourmis vivent dans les cavités naturelles de la plante (dans la tige, les fleurs ou même les épines) et se nourrissent des sécrétions sucrées ou des déchets laissés par d'autres insectes. En échange, elles se chargent de défendre la plante contre les prédateurs, y compris contre des mammifères ! Elles vont même jusqu'à détruire d'autres plantes susceptibles de parasiter leur habitat. Un exemple particulièrement intéressant est celui de Nepenthes bicalcarata que l'on peut voir sur la gauche. Cette plante carnivore originaire de Bornéo est un piège mortel pour la plupart des insectes, qui glissent le long des parois et se noient dans les sucs gastriques. Mais les fourmis Camponotus schmitzi y vivent tranquillement, en partageant les repas de la plante. En échange de ce festin gratuit, elles protègent la plante bien sûr, mais leur rôle va plus loin : en fait, la plante ne pourrait pas vivre sans les fourmis. Celles-ci font partie intégrante de son système de digestion ! Qui plus est, elles ont été observées en train de pousser à l'eau des insectes résistants ! Les fourmis sont aussi tragiquement liées à la plante carnivore : elles ne vivent nulle part ailleurs. On peut en apprendre davantage dans la vidéo ci-dessous :


Dans un autre cas d’interactions entre une plante et une fourmi, des chercheurs ont mis en évidence un comportement singulier : la plante est en mesure de sanctionner les fourmis si jamais elles tendent à abuser de son hospitalité. Les fourmis Allomerus decemarticulatus vivent dans les poches foliaires d'une plante tropicale (Hirtella physophora). Elles détruisent volontairement une partie des fleurs de la plante, ce qui se traduit par une augmentation de la production de feuilles, et donc de poches foliaires. Mais si elles en détruisent trop, la plante se venge en produisant des poches trop étroites pour permettre aux fourmis de les utiliser comme nid.

8- Les fourmis Dracula


J'étais parvenu au fond de la lugubre galerie, d'où me parvenaient des plaintes sinistres et des cris tordus de douleur. Je fis quelques pas dans la salle où je découvris vingt, peut-être trente enfants au teint blafard, éparpillés à même le sol. A mon indicible effroi, je fus témoin d'un spectacle d'une insoutenable horreur : deux adultes s'employaient à taillader le flanc d'un malheureux juvénile, et à recueillir dans leurs bouches immondes le liquide vital qui s'épanchait de la blessure. Lorsque la malheureuse victime posa le regard sur moi, je lus l'épouvante dans ses yeux et je connus sa vie : un cauchemar chaque nuit renouvelé, où, tenue captive par ses parents, sa chair était mutilée et ses forces drainées.

Howard Fourmi Lovecraft

La scène que vous venez de lire est exactement celle que vivent les larves des fourmis du genre Adetomyrma. Les adultes se nourrissent exclusivement du sang (l’hémolymphe) de leurs rejetions. Ils leur infligent des blessures non mortelles afin d'aspirer le précieux liquide. Tiens, c'est l'heure du goûter et j'ai manqué la sortie des classes ... 

9 - L'abolition de l'esclavage est reportée de quelques millions d'années

S'il y a une chose que les fourmis font mieux que personne, c'est la guerre. Si vous avez lu Les Fourmis, le célèbre roman de Bernard Werber, vous en savez quelque-chose ! Et bien les fourmis ont une spécialité connexe : l'esclavage. De nombreuses espèces y recourent, capturant et réduisant en esclavage des fourmis plus faibles. Chez les fourmis pots-de-miel, comme celle montrée ci-contre, on pratique même l'esclavage entre colonies. Les précieux garde-manger sur pattes sont en effet jalousement gardés dans des salles spéciales, et les colonies organisent des raids sur leurs voisines pour s'en emparer.

D'autres espèces, comme Solenopsis daguerrei vont encore plus loin : la reine infiltre une colonie rivale du genre Solenopsis en mode furtif, grâce à un subtil mélange de phéromones. Elle prend alors la place de la reine, qu'elle tue à petit feu en ingurgitant la nourriture qui lui est destiné. Trompées par le cocktail odorant, les ouvrières continuent de s'occuper de la nouvelle reine, et élèvent sa progéniture comme des membres de la famille. Les pauvres..

10 - Ceci n'est pas une fourmi

J'avais l'embarras du choix pour terminer ce billet, mais j'ai décidé de le faire avec deux insectes qui ne sont pas des fourmis : la mal nommée fourmi-panda et Cyphonia clavata, un membracide au camouflage intrigant.

La fourmi-panda (Euspinolia militaris) est en réalité une vilaine guêpe appartenant à la famille des Mutillidae, chez qui les femelles n'ont généralement pas d'ailes. Elle doit son nom, vous l'aurez compris, à sa ressemblance avec le panda et à sa morphologie proche de celle de la fourmi. On la trouve au Chili, où elle est surnommée "tueuse de vache" en raison de sa piqûre extrêmement douloureuse. 

Les membracides, quant à eux, sont connus pour leur camouflage sophistiqué, je vous conseille d'ailleurs l'article Le chapelier fou des Membracides chez l'ami Taupo, pour voir ce que cela donne. Cyphonia clavata est un membracide myrmécomorphe. Si vous avez bien suivi, vous savez ce que cela veut dire :)
A quoi ça sert de ressembler à une fourmi ?  Et bien figurez vous que dans le monde des insectes, elles n'inspirent pas forcément la sympathie !
Un membracide Cyphonia clavata, au Vénézuela. Crédits : Arthur Anker
That's all folks !


Pour en savoir plus :
  • Cette page géniale. où l'on apprend qu'il existe des attentats suicide chez les fourmis et que le record du monde de vitesse pour un mouvement est détenu par une fourmi tropicale.
Au sujet des fourmis, je vous invite à découvrir ces billets publiés sur le c@fé des Sciences :

Fourmis matheuses
Histoires d’interactions #4 : Solanopteris brunei
Podcast Science 86 – Des fourmis et des hommes
La reine, seule reproductrice chez les fourmis?
[Freaky Friday Parasite] Les mouches sans ailes, ni pattes, déguisées en bébés fourmis

Références :
(1) http://www.computerworld.com/s/article/print/9086098/NASA_moves_to_save_computers_from_swarming_ants
(3) http://columbian.gwu.edu/turtle-ants-shielded-danger
(4)  http://fr.wikipedia.org/wiki/Myrmecia
(5) http://www.uni-konstanz.de/FuF/Bio/neuroetho/index/Adams%20et%20al.%202000a.pdf
(5) http://insects.about.com/od/coolandunusualinsects/f/antsandaphids.htm
(7)  http://blogs.discovermagazine.com/notrocketscience/2012/05/09/meat-eating-plant-digests-insects-using-ants/#more-6904
(7)  http://fr.wikipedia.org/wiki/Camponotus_schmitzi
(7)  http://www.science.gouv.fr/fr/actualites/bdd/res/4894/identification-d-un-mecanisme-de-sanction-entre-des-fourmis-et-leurs-plantes-hotes/
(9)  http://en.wikipedia.org/wiki/Solenopsis_daguerrei

12 commentaires:

  1. Excellent! Un article fascinant que j'aurais bien voulu avoir écrit! Par contre fait gaffe, c'est membracide et non mandracide (erreur que tu n'as pas répété dans tout l'article)!

    RépondreSupprimer
  2. La fourmi panda est une guêpe, mais les deux sont hyménoptères.Comment savoir ?

    RépondreSupprimer
  3. Merci :) Et merci pour la correction ! Je ne sais pas pourquoi j'ai écrit mandracide.. j'ai l'impression que ça ne veut rien dire en plus ! Si seulement on connaissait un blog spécialisé dans les mots.. et qui expliquerait comment accorder ses participes passés ;)

    RépondreSupprimer
  4. C'est vrai, la guêpe et la fourmi sont des hyménoptères, mais il me semble que certains critères permettent de rapprocher la fourmi panda des guêpes plutôt que des fourmis. La guêpe commune et la fourmi panda font toutes deux partie de la super-familles des Vespoidea. Mais je n'y connais pas grand chose, aussi j'ai précisé le nom scientifique de la fourmi panda, en espérant que ce soit un peu plus clair.

    RépondreSupprimer
  5. Ah, pour l'accord des participes passés je suggère ce site : http://www.langue-fr.net qui est de toute façon très intéressant (désolée ce n'est pas un blog) même en dehors des participes passés.
    Sinon le "nulle part autre" m'a piqué les yeux, on dit plutôt "nulle part ailleurs" en français, en patagon je ne sais pas et en anglais je m'en fiche un peu.
    À part tout ça, merci pour le site. J'ai beaucoup aimé les histoires (un peu terrifiantes) de fourmis avec une pensée émue et un rien ironique (voire cynique) pour les défenseurs de nos zamis les zanimos (en même temps je le soupçonne d'utiliser des insecticides vu qu'un insecte c'est un rien moins attendrissant qu'une adorable boule de poil).

    RépondreSupprimer
  6. Merci pour le commentaire :) et pour la correction (je vais modifier tout de suite). Je note que je dois faire un billet sur les boules de poils :)

    RépondreSupprimer
  7. Les fourmis ont un "pétiole" entre le thorax et l'abdomen. Ce pétiole est fait à partir des premiers segments de l'abdomen. La guêpe n'a pas de pétiole. D'après les photos de la fourmi panda, on ne voit pas de pétiole. Elle serait donc bien une guêpe.

    RépondreSupprimer
  8. Oh oui j'attends avec impatience un article sur les boules de poil et quelque chose me dit que ça risque fort de ne pas être sur les chatons trop mignons.

    RépondreSupprimer
  9. Merci pour la précision, bon, je laisse le mot "guêpe" alors :) Quant aux boules de poils, je m'y mets à le rentrée !

    RépondreSupprimer
  10. La Fourmi Panda surprend toujours par sa couleur blanche et noire. Par ailleurs, cette fourmi à l’apparence inoffensive possède un dard très douloureux. On le surnomme d’ailleurs en anglais le « cow killer ».

    RépondreSupprimer
  11. Bravo et merci pour cet indicible article !

    J'ai notamment beaucoup apprécié l'extrait d'Howard Fourmi Lovecraft, quels ouvrages de sa main me recommandez-vous ? >:D

    RépondreSupprimer
  12. Remerciements tardifs Wilfrid ! La suite est dans les tuyaux, on y retrouvera Fourmi Lovecraft :)

    RépondreSupprimer