mercredi 31 juillet 2013

La trilogie météorologique. Épisode 2 : de l'électricité dans l'air

Il y a quelques temps, alors que le temps tournait subitement au soleil radieux, j'avais entamé cette trilogie en parlant de nuages extraordinaires. Trois semaines plus tard, après une période orageuse, ce second épisode est justement consacré aux phénomènes lumineux et électriques insolites. Au menu du jour : Feu de Saint-Elme, farfadets, foudre en boule, éclairs volcaniques et autres bizarreries !  

Le Feu de Saint-Elme 

Lampe à plasma et Feu de Saint-Elme sur un bateau (G. Hartwig)
Ce phénomène lumineux au nom médiéval apparaît dans des conditions spécifiques à la pointe des conducteurs (autrement dit, des métaux). Décrit par les marins depuis l'antiquité, cette lumière est en partie du à l'effet de pointe. Les extrémités en pointes des conducteurs (javelots antiques, piolets d'alpinisme, antennes, paratonnerres ou ailes d'avion) ont la particularité d'augmenter grandement l'intensité du champ électrique à leur voisinage. Lorsque le champ électrique environnant est suffisamment fort (comme c'est le cas durant les orages ou dans certaines conditions météorologiques), les particules d'air s'ionisent et deviennent conductrices : elles forment un plasma (j'en reparlerai un peu plus tard). Le courant peut alors circuler sur de petites distances et une petite décharge se produit au niveau de la pointe. C'est ce qu'on appelle l'effet couronne. Lorsque les particules d'air reviennent à leur état normal, elles dissipent l'énergie en émettant une lumière bleue violacée (lire ici pour en savoir plus) ; le fameux feu de Saint-Elme. Le même processus est à l'origine des intrigantes lumières des lampes à plasma.


Les farfadets ou sylphes rouges

Des farfadets dans l’Oklahoma. Crédits : Dramatic sky photography - Paul Smith

Sprites rouges
Le farfadet (sprite en anglais) est un phénomène lumineux de très haute altitude. Sa nature éphémère (quelques dizaines de millisecondes environ) et sa localisation éloignée le rendent pratiquement insaisissable. Les farfadets surviennent par deux ou trois, entre 40 et 145 km d'altitude et sont souvent précédés d'un halo rouge ("elve" en anglais), qui les fait ressembler à des méduses. Longs de quelques kilomètres, ils font pendre vers la Terre leurs filaments lumineux. La première photographie (fortuite) date de 1989 mais leur découverte serait plus que séculaire. Plusieurs mécanismes ont été proposés pour expliquer leur apparition, l'hypothèse la plus courante propose qu'ils se forment pendant les orages : le diazote de l'air est rendu fluorescent, comme dans une tube néon, par des éclairs de grande taille. Leur couleur varie du rouge au sommet jusqu'au bleu-vert à la base. 
A gauche : des farfadets (fausses couleurs) au dessus d'un orage au Kansas, Crédits : Walter Lyons, FMA Research, Fort Collins, Colorado. A droite : les différents éléments menant à la formation des farfadets, Crédits.
Une  aurore boréale verte et des farfadets juste au dessus © Mike Hollingshead, www.extremeinstability.com
Une sprite dans le ciel de l'ouest de l'Oklahoma,  au dessus d'une cellule orageuse, dans la soirée du 18 juin 2016. Crédit : Ashcraft
Récemment, Jason Ahrns, un jeune étudiant américain, est parvenu à filmer le phénomène depuis un avion. La méthode est exposée en détail sur son blog et vous trouverez ci-dessous ses deux vidéos.

 

Les jets

Il existe un autre phénomène lumineux transitoire de haute atmosphère, appelé "jets". Les jets sont des éclairs inversés : ils surgissent au sommet des cumulonimbus pour rejoindre l'ionosphère, et forment ainsi des cônes de lumière dirigés vers le haut. Ils sont extrêmement énergétiques : 100 à 1000 fois plus que des éclairs classiques ! On peut  à en apprendre plus sur ces phénomènes sur la page wikipédia correspondante, dont je reproduis ci-dessous l'illustration :
Les différentes formes de phénomènes lumineux éphémères

La foudre en boule

"Globe de feu descendant dans une pièce", Dr. G. Hartwig, London, 1886. 
Phénomène rare, la foudre en boule (ou foudre globulaire)  survient généralement pendant des orages. Les chances de l'observer sont grandement augmentées si l'on tient une réunion scientifique au sujet d'une momie inca dans une maison munie d'une cheminée. Les témoignages rapportent des histoires troublantes : une boule "électrique" d'une vingtaine de centimètres de diamètre, dont la couleur varie et qui est presque toujours précédé d'un éclair. La boule flotte à hauteur d'Homme, peut rester immobile ou se déplacer pendant quelques secondes, parallèlement au sol. Il lui arrive de traverser des murs, des fenêtres ou des parois d'avion. Elle semble être attirée par les champs électriques environnants (prise, fils, voitures etc.) et elle est parfois accompagnée de grésillements, d'odeurs ou d'autres phénomènes électriques : lueurs, traînées lumineuses, figures dendritiques.. Après quelques secondes, elle disparaît sans bruit ou explose de façon bruyante. On peut lire de nombreux témoignages sur ce site (en anglais). Cet autre document, en français cette fois, présente de façon claire et visuelle le bilan statistique des observations en France entre 1994 et 2011 : contextes, caractéristiques de la boule, nombre de témoins etc. On y apprend par exemple que le phénomène est davantage observé à l'intérieur qu'à l’extérieur !
Situation des témoins lors de l’observation de la foudre globulaire, Crédits : Raymon Piccoli, Directeur du Laboratoire de Recherche sur la Foudre.
En ce qui me concerne, je me souviens du récit qu'un montagnard m'avait fait au Grand Bornand : la foudre avait frappé l'arbre en face de sa fenêtre, un soir d'orage. Une boule blanche était rentrée par la fenêtre, puis avait suivi le contour des murs, en passant sous le papier peint, avant de disparaître sans faire de bruit ! Le papier s'était décollé et avait légèrement brûlé. Cette jolie histoire ne doit cependant pas faire oublier que le phénomène est dangereux : la température de la boule peut dépasser les 1700 ° C et chaque année, plusieurs personnes meurent ou sont blessées. Ci-dessous, une vidéo amateur où l'on semble distinguer une boule de foudre.


Côté explication, malgré sa notoriété, la foudre globulaire n'est pas encore bien comprise : deux théories s'affrontent pour expliquer sa formation et sa persistance. La première fait encore intervenir les plasmas, qui constituent un état particulier de la matière. D'ordinaire, les gaz sont neutres et ne conduisent pas l’électricité. Mais s'ils sont soumis à un champ électrique intense ou qu'on leur apporte suffisamment d'énergie, les électrons de charge négative se dissocient des atomes, laissant ces derniers avec une charge positive. Le gaz devient alors conducteur : on dit qu'il s'ionise. Il devient un plasma lorsqu'une majorité d'atomes est sous forme ionisée. Dans le cas de la foudre en boule, on suppose que la température élevée dues à l'éclair ou à la foudre provoque la formation du plasma. Quant au fait qu'il soit confiné dans une sphère, il serait du au champ magnétique global créé par des lignes de courant bouclées sur elles-mêmes. Cet état peut durer plus ou moins longtemps, tout est une question d'énergie. Lorsque la boule a perdu trop d’énergie (sous forme de chaleur et de lumière), le plasma devient instable et le gaz repasse à son état naturel. La compréhension de ce confinement électromagnétique ne permettrait pas seulement d'expliquer clairement le phénomène de la foudre globulaire; il permettrait probablement des progrès importants dans les technologies de confinement magnétiques, notamment celles destinées à équiper les futurs réacteurs de fusion nucléaire. C'est un des sujets de recherche du projet ITER sur le site de Cadarache. D'autres théories analogues ont été avancées, proposant notamment que les surfaces non conductrices comme les vitres puissent favoriser la formation du plasma.
Un tokamak, une chambre de confinement magnétique en forme de tore pour les plasmas

La seconde théorie, dite "chimique", que je ne détaille que sommairement ici, propose que la foudre vaporise des particules de silicium et de carbone en frappant le sol. Ces éléments se combineraient à l'oxygène pour former de longues chaînes de molécules. Ces dernières se replient spontanément en forme de boule lorsqu'elles se consument. Cette théorie expliquerait les odeurs parfois décrites mais pas la quantité importante d’énergie contenue dans la boule. Je trouve cette hypothèse moins élégante, mais elle a le mérite d'avoir mené une équipe brésilienne (dirigée par Antonio Pavao et Gerson Paiva) imprudemment chaussée de sandales à réaliser une expérience convaincante en laboratoire (voir vidéo ci-contre). Et si vous êtes prêts à bousiller votre four à micro-ondes, vous pouvez tenter cette expérience qui montre comment faire de petites boules de feu.

Les éclairs volcaniques

De loin la partie la plus spectaculaire de ce billet ! Ces éclairs volcaniques ressemblent beaucoup aux éclairs classiques, à la différence que ce sont les poussières éjectées lors de l'éruption qui transmettent le courant, et non l'air ionisé. Les particules portent en effet une charge d'électricité vraisemblablement d'origine statique, acquise durant la première phase des éruptions dites explosives. La différence de potentiel entre la base du nuage de poussières et son sommet provoque alors de puissantes décharges au cours de ce qu'on appelle des orages volcaniques, fournissant aux photographes chanceux de sublimes images. Ces éclairs ne sont pas systématiques, et de nombreux paramètres peuvent jouer sur leur fréquence et leur intensité : taille et densité du nuage de poussières, violence de l'éruption, température de l'air etc.


L'Etna lors de son éruption d'une heure en Décembre 2015.  Crédits : Marco Restivo

Des éclairs circulaires ?

Je termine avec cette curieuse histoire lue sur ce site anglophone et dont voici une traduction rapide :

"Le 1 mai 1997, dans le New Jersey, entre 15 et 16 heures, D. Quinlan conduisait sur la route 80. Un orage approchait de l'ouest. Quinlan observa de nombreux éclairs horizontaux passant d'un nuage à un autre. Les décharges ne semblaient pas faire beaucoup de bruit et évoluaient si lentement que l'on pouvait facilement les suivre du regard. Trois décharges qui avaient débuté sur sa droite parcourent le ciel dans un plan quasiment horizontal, revenant à leur point de départ et formant ainsi une boucle circulaire."
(Quinlan, David; communication privée, 2 Mai 1997.)

That's all folks, je vous retrouve au prochain épisode, qui sera consacré aux phénomènes météorologiques hors-normes : pluies d'animaux, tsunamis de glace, tempêtes géantes... 

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