samedi 29 juin 2013

Après les Google Glass, des Google Lens et un peu de Science Fiction

Schéma du mélange déposé sur la lentille : une couche de graphène, des nanofils d’argent, une autre couche de graphène et la LED © Ulsan National Institute of Science and Technology
Vous trouvez les Google Glass trop encombrantes ? Faites confiance à la technologie : un jour pas trop lointain, ces lourdes lunettes bardées de technologie qui augmentent la réalité en superposant à votre vision différents éléments informatifs (météo, itinéraires, indications de prix etc.) tiendront sur une lentille toute bête. 

Une équipe de chercheurs coréens a récemment réalisé une prouesse époustouflante : intégrer un écran LED sur une lentille de contact ordinaire, sans affecter ses autres propriétés : la transparence et la souplesse sont conservées. Testé sur des lapins, ce premier prototype de lentille à affichage a été très bien toléré. Il reste à trouver une solution pour l'alimentation et à développer la résolution : pour l'instant, la lentille ne comporte qu'un pixel ! Je suis néanmoins convaincu que cette solution sera fonctionnelle assez rapidement et que les Google Lens nous pendent au nez. Pour en savoir plus, vous pouvez lire cet article. De mon côté, je vous propose le début d'une petite nouvelle de science-fiction, au sujet de ces lentilles intelligentes, qui traine dans mes tiroirs virtuels depuis un bon moment.

Real Shape Inc.

Chapitre 1, la mauvaise route

Il était bientôt dix heures et Daniel était encore au bureau. Les derniers collègues avaient quitté le bâtiment depuis longtemps mais, prudent, il attendait encore en faisant mine de réorganiser sa table de travail. Il tapotait nerveusement sur la surface de verre, manipulait des prototypes ou consultait des dossiers qu’il finissait par perdre à force de les déplacer sans faire attention.

Une mouche vint bourdonner péniblement autour de lui avant de se cogner répétitivement sur la vitre. Elle finit par se poser à l’endroit ou s’affichait une libellule aux ailes rouges dans une rizière verdoyante. Agacé, Daniel quitta son fauteuil et ouvrit la fenêtre. Le verre de la vitre reprit instantanément sa transparence et une bouffée d’air glaciale s’engouffra dans la pièce. Il frissonna, surpris d’être rappelé à l’hiver. Il parvint, non sans peine, à chasser la mouche au dehors. Il ne donnait pas cher de sa peau sous la neige qui commençait à tomber mais  il avait toujours été agacé par le bruit insupportable des insectes volants, en particulier celui des mouches. Et il était préoccupé par des questions autrement plus importantes. 

Il avait éteint son smart lens et désactivé le smart system de la pièce depuis quelques minutes maintenant. Un vigile ne tarderait pas à venir vérifier si tout allait bien. Il fallait s’y mettre et vite. Il posa fébrilement son index sur la surface du connecteur et, du bout du doigt, navigua habilement jusqu’aux documents qui l’intéressaient. En moins d’une seconde, il avait copié les fichiers ; des contrats passés avec des compagnies locales ou des villes des alentours. Évidemment, il mettait en jeu sa carrière. Mais Daniel était bien trop curieux.

Il travaillait pour Real Shape, le leader mondial en solutions de réalité augmentée, qui était graduellement passé du statut de fournisseur d’applications à celui d’un acteur incontournable à l’échelle mondiale. Presque tous les éléments virtuels de la vie moderne portaient sa marque : le smart system, mais aussi les affichages des commerces, les panneaux de signalisation, les systèmes d’assistance et de navigation interactifs, les décors et les panneaux publicitaires dans les villes ainsi que dans les transports. Même les écoles et les musées fonctionnaient avec le Real Shape Augmented Reality System.

La société californienne fabriquait aussi tous les équipements nécessaires pour visualiser ses produits. Sa domination était telle que son système était livré par défaut avec tous les terminaux d’affichage, qu’ils équipassent un véhicule ou un réfrigérateur. Le produit le plus récent et le plus abouti de la firme était le smart lens, qui avait tout d’une lentille optique ordinaire, mais qui ne constituait pas moins que « la prochaine évolution de l’Homme » pour reprendre les termes du slogan publicitaire. Dans un sens, ce n’était pas faux : les smart lens avait entrainé une petite révolution. En France, plus des trois quarts de la population les portait tous les jours. La commission d'éthique avait récemment donner son feu vert pour que les enfants, pourvu qu'ils aient plus de trois ans, puissent également en bénéficier. Le système actif de la lentille était alimenté directement par des cellules modifiées de l’œil. Il pouvait être activé et désactivé très facilement mais la plupart des utilisateurs n’en voyaient pas l’intérêt et le laissaient tout simplement allumé en permanence.

Daniel occupait son poste depuis trois ans maintenant, dans le département de recherche et de développement. Il n’avait vraiment pas à se plaindre, sa situation était plus que confortable, mais les derniers projets sur lesquels il avait travaillé lui avaient semblé pour le moins étranges. Ce qu’il était en train de faire ce soir violait clairement les termes et conditions qu’il avait signés mais, si tout se passait comme prévu, personne n’en saurait jamais rien.
Il n’avait pas besoin de rester plus longtemps, il rassembla rapidement ses affaires et réactiva le smart system. La pièce changea aussitôt d’aspect, et le thème « rizière » s’afficha de nouveau. Il ralluma son smart lens et commanda à sa voiture de l’attendre devant la seconde sortie de l’immeuble dans cinq minutes. Daniel descendit les quelques marches glissantes qui menaient à la sortie d’une façon qu’il voulut décontractée. Une précaution inutile ; il ne croisa personne. Pour se donner contenance, il décida d’appeler sa sœur pour prendre de ses nouvelles. Son véhicule l’attendait à l’endroit voulu. Le réverbère, sur lequel des stalactites de glace commençaient à se former, éclairait d'une lumière blafarde les flocons qui tombaient en tourbillons silencieux. Il essayait de marcher calmement, se concentrant sur le crissement de la neige fraiche sous ses pieds. Lorsqu'il fut devant le véhicule, la porte s’ouvrit et il se cala confortablement dans le large fauteuil. Sa sœur ne répondait pas, il raccrocha sans laisser de message. 

« Bonsoir Dan, où allons nous ? » demanda la voiture.

« A la maison ! » répondit Daniel, que l’ambiance familière et l'odeur de figuier diffusé dans l'habitacle rassuraient. La voiture démarra lentement et rejoignit la voie réservée aux véhicules automatiques, plongée dans la nuit. La neige tombait maintenant à gros flocons et la visibilité était fortement réduite. Sur la voix de droite, les messages d’alertes destinés aux conducteurs s’affichaient toutes les trois secondes à même la chaussée. Daniel ferma les yeux, bercé par le ronronnement du moteur. Peu à peu, il parvint à retrouver son calme.

Lorsqu’il rouvrit les yeux, la voiture avait déjà quitté la voix rapide et circulait maintenant sur la petite route de montagne qu’elle empruntait presque tous les jours. Du moins c’est ce qu’il croyait.

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